«Ma curiosité est éveillée par un design exceptionnel»
Dinah Ehrenfreund sur l'orfèvre Bernhard Friedländer
Dans la collection du Musée juif de Suisse, la curatrice Dinah Ehrenfreund a découvert trois œuvres de Bernhard Friedländer, un orfèvre aujourd’hui quasiment tombé dans l’oubli. La directrice du musée Naomi Lubrich l’a interrogée sur la signification de Friedländer pour l’histoire du design des judaïca, et sur la mise en valeur d’artistes en partie oubliés aujourd’hui.
Naomi Lubrich: Chère Dinah, dans notre dépôt, tu as identifié des judaïca de l’orfèvre Bernhard Friedländer. Qui était-il?
Dinah Ehrenfreund: Bernhard Friedländer naquit vers 1880 à Czenstochau, dans la Pologne actuelle. Il fit sa formation d’orfèvre et de sculpteur de pierre à Lodz, Odessa, Tiflis et Berlin. À partir de 1904, il travailla en Allemagne, avec stations à Berlin, Munich, Essen et Bonn. En 1913, il s’installa à son compte à Düsseldorf et fabriqua des judaïca uniques en leur genre pour les synagogues ainsi que pour le foyer. Ses œuvres rencontrèrent le succès: il les présenta dans des expositions comme la GeSoLei à Düsseldorf en 1926, aux États-Unis en 1927 ainsi que lors de l’exposition cultes et formes qui eut lieu dans différentes villes à partir de 1930. Les journaux et lexiques rendirent hommage à son œuvre artisanale. La période de Düsseldorf, où il resta jusqu’en 1928, fut sa période la plus créative sur le plan artistique. En 1928, il déménagea à Anvers, et en 1932, il émigra à Tel Aviv dans le territoire de Palestine sous mandat à l’époque. Là, il créa en dehors de chandeliers de Hanoukka uniques en leur genre principalement des judaïca et des objets en argent en plusieurs exemplaires – des produits en série en quelque sorte. Friedländer est mort en 1941.
NL: Bernhard Friedländer est quasiment inconnu aujourd’hui. Pourquoi?
DE: La plupart des œuvres qu’il a créées pendant son séjour en Allemagne ont été détruites à l’époque du national-socialisme. À Tel Aviv, il a fabriqué des bougeoirs, des chandeliers de Hanoukka, des gobelets de Kiddush et de l’argenterie qui sont moins ambitieux sur le plan artistique, moins exceptionnels. Qui en Israël ne connaît pas son nom, connaît peut-être sa firme Michsaf. Elle existe encore aujourd’hui, elle n’est cependant plus reliée que symboliquement avec Friedländer, il avait dû la vendre de son vivant. Une autre raison pour laquelle Friedländer est peu connu aujourd’hui est qu’il est mort relativement tôt en 1941, à l’âge de soixante ans. À titre de comparaison: l’artisan d’art Jehuda Wolpert qui est aujourd’hui très estimé a vécu jusqu’en 1981. Wolpert a travaillé au demeurant deux ans dans l’atelier de Friedländer à Tel Aviv, et ensuite comme enseignant à l’école des beaux-arts Bezalel. Wolpert a créé des objets de culte modernes et ainsi touché un large public. Il est considéré aujourd’hui comme l’inventeur des judaïca modernes, ce qui ne tient toutefois pas suffisamment compte du travail innovatif de nombreux autres artistes en Allemagne avant 1938, tels que Bernhard Friedländer.
NL: Tu as étudié de plus près un plateau du Séder dans la collection du Musée juif de Suisse. Qu’a‑t-il de particulier?
DE: Le plateau du Séder date de l’année 1925/26. Il a une forme inhabituelle, décagonale. Le long du bord sont représentées des illustrations de scènes bibliques et historiques depuis les origines jusqu’à nos jours. Les inscriptions en hébreu contiennent des renvois littéraires. On pourrait parler toute la soirée de cette pièce qui se trouve au centre de la table du Séder!
NL: Ce ne fut donc pas ton goût pour l’esthétique qui t’a rapprochée de Bernhard Friedländer.
DE: Non, car ce qui m’intéresse, ce sont les histoires des objets, comment ils sont parvenus au musée, et à quoi ils ont servi auparavant. En ce qui me concerne, il s’agit moins d’un goût esthétique que de la curiosité suscitée par un design exceptionnel. Et ce design exceptionnel, les objets de Bernhard Friedländer l’ont sans aucun doute!
rédigé le 05.02.2024
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