Le procès bâlois des «Protocoles des sages de Sion»
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Basel, Kornhausgasse 8. C’est à cette adresse que se trouve aujourd’hui le Musée juif de Suisse, dont la collection conserve un exemplaire des «Secrets des sages de Sion» confisqué en 1933. Ladite action fut dirigée à Bâle en 1933 à partir du même endroit, le secrétariat local situé dans la Kornhausgasse 8. L’«action» fut une mesure de lutte contre l’antisémitisme, prise par la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI). Le secrétariat local de Bâle signala au FSCI des incidents antisémites à Bâle, et négocia les contre-mesures à adopter.[1] L’une d’entre elles fut le procès bâlois des «Protocoles des sages de Sion».
Le 21 juin 1933, l’avocat juif Oscar Meyer déposa une «plainte pour diffamation» auprès du tribunal pénal de Bâle au nom de Jules Dreyfus-Brodsky, président de la Communauté israélite de Bâle et du FSCI, de Marcus Cohn, président de l’Association sioniste suisse, ainsi que de Marcus Ehrenpreis, grand rabbin de Stockholm. La plainte était dirigée contre les auteurs et diffuseurs des «Protocoles des sages de Sion».
Les «Protocoles» sont un écrit antisémite, d’origine vraisemblablement russe, qui était parvenu également en Europe occidentale dans le cadre de la Révolution russe, et qui fut réédité à plusieurs reprises dans des versions commentées. Les «Protocoles» sont censés prouver des accords fictifs conclus entre Juifs pour prendre le contrôle politique du monde.[2] Le fait qu’il s’agissait là d’un plagiat de la satire politique de Maurice Joly intitulée «Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu» et parue en 1864, fut considéré comme prouvé dès 1926, les «Protocoles» continuèrent néanmoins à circuler et trouvèrent de nouveaux lecteurs sous la montée du national-socialisme.[3]
Les accusés du procès bâlois étaient les auteurs allemands des écrits, Gottfried van der Beek en tant qu’auteur de l’écrit «Les secrets des sages de Sion» («Die Geheimnisse der Weisen von Zion»), et Theodor Fritsch, l’auteur des «Protocoles sionistes», ainsi que les diffuseurs suisses des brochures, Alfred Zander et Eduard Rüegsegger.[4] Le nom «Gottfried van der Beek» était le pseudonyme de Ludwig Müller von Hausen, un éditeur antisémite allemand mort en 1926.[5] Il s’avéra rapidement que Theodor Fritsch était également décédé. La plainte fut dirigée par la suite contre Alfred Zander, le dirigeant du Front national fasciste, il s’agissait en premier lieu d’un jugement public dans lequel les «Protocoles» seraient une fois pour toutes démasqués comme étant faux.[6]
Le procès fut mené à Bâle par le président du tribunal pénal Ezechiele Enocari.[7] Celui-ci ordonna le 22 juin 1933 la réquisition des «Protocoles» dans les locaux du groupe local du Front national à Bâle; au cours de celle-ci, deux officiers de police judiciaire saisirent 761 exemplaires.[8]
Presque simultanément, un procès similaire fut engagé à Berne. Les avocats de Berne refusèrent de coopérer avec Oscar Meyer, ne voulant pas compromettre leur propre procès. Parce que la Fédération suisse des communautés israélites attendait davantage de l’issue de ce procès, elle intensifia ses efforts au profit du procès de Berne, celui de Bâle fut en revanche repoussé. En juin 1936, il fut décidé de renoncer complètement à un procès à Bâle et d’accepter un arrangement avec Zander. Zander dut retirer son affirmation selon laquelle Ehrenpreis aurait attesté l’authenticité des «Protocoles», et il dut admettre que l’écrit n’avait aucun rapport avec le Premier congrès sioniste de Bâle. Zander accepta par ailleurs de prendre en charge les frais de tribunal.[9] L’issue du procès laissa un arrière-goût amer chez Oskar Meyer qui s’était investi avec beaucoup de passion en faveur du procès bâlois, bien qu’il eût lui-même dès juin 1934 conseillé à Jules Dreyfus-Brodsky d’accepter l’arrangement.[10] Quoiqu’il eût apporté son soutien au procès de Berne, il fut en même temps déçu du manque de confiance que les avocats de Berne lui avaient témoigné. Ainsi s’informa-t-il auprès de Saly Mayer en 1935 sur l’état d’avancement du procès de Berne, mais par ailleurs, il écrivit qu’il avait perdu l’envie de mener jusqu’au bout le procès de Bâle («die Lust vergangen [sei], den Basler Prozess zu Ende zu führen.»)[11]
Par Barbara Häne
Sources:
[1] Vgl. Mächler, Stefan: Hilfe und Ohnmacht. Der Schweizerische Israelitische Gemeindebund und die nationalsozialistische Verfolgung 1933–1945, Zürich 2005, S. 70.
[2] Vgl. Hagemeister, Michael, Die «Protokolle der Weisen von Zion» vor Gericht. Der Berner Prozess 1933–1937 und die «antisemitische Internationale», Zürich 2017, S. 37.
[3] Vgl. ebd., S. 49–55.
[4] Vgl. Meyer, Oscar: Brief an das Präsidium des 18. Zionisten-Kongresses, Basel 16.08.1933, S. 1 f., AfZ: NL Marcus Cohn / 88.
[5] Vgl. Hagemeister, Die Protokolle, 2017, S. 552.
[6] Vgl. o. A.: Prot. der Juristenkonferenz, Basel 01.06.1934, S. 4, AfZ: IB SIG-Archiv / 1215.
[7] Vgl. ebd.
[8] Vgl. Jüdische Presszentrale Zürich (JPZ) 753, 07.07.1933, S. 7.
[9] Vgl. Hagemeister, Die Protokolle, 2017, S. 132 sowie JPZ 896, 12.06.1936, S. 9.
[10] Vgl. Meyer, Oscar: Brief an Jules Dreyfus-Brodsky, Basel 11.06.1934, S. 2. AfZ: IB SIG-Archiv/ 1215.
[11] Meyer, Oscar: Brief an Saly Mayer, Basel 24.10.1935. AfZ: IB SIG-Archiv / 1216.
rédigé le 19.08.2024
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